Voltige !
Isabelle Lévesque
L’herbe qui tremble
N° ISBN : 9 782918 220466
parutions : avril 2017
Nbre Pages : 96
Auteure d’une quinzaine de livres, Isabelle Lévesque est poète. Elle écrit des textes sur la poésie contemporaine et collabore à de nombreuses revues littéraires. Elle aime à ses heures photographier les fleurs, notamment le coquelicot qu’elle affectionne particulièrement.
Voltige ! est accompagné de peintures de Colette Deblé et d’une postface de Françoise Ascal. Son titre aérien me fait songer à des mouvements d’acrobaties ou à ceux de feuilles qui tombent dans le travers du ciel à la fin de l’été. Ils sont peut-être ici sentiments équivoques éprouvés par Isabelle Lévesque, oscillants entre joie et nostalgie. Des « virevoltes » d’émotions emmêlées à cette « mélancolie des jours infinis ». Ils se confondent aux paysages. La poète les traduit dans ces poèmes qu’elle nous offre.
Les fleurs, les blés, le ciel… enluminent les poèmes quand en filigrane transparaît « autre chose ». Dans les couleurs rouges du coquelicot, bleue de la fleur presque éponyme ou blond des céréales, les poèmes rivalisent avec la nature. Ils partagent un trouble né d’une émotion sans cesse renouvelée en son sein.
Pour toi le végétal attrait d’un monde inconnu
Tel un fil d’Ariane, le coquelicot, cher à l’auteur est récurrent dans les poèmes. Il est un symbole de force et de fragilité, de fugacité et de permanence, d’amour et du sang qui brûle dans les veines.
(ta ramification), / proie le cœur / coquelicot
Un dialogue naît de cette pérégrination à travers la nature. Le « tu », le « nous » sont employés sans que le lecteur ne parvienne à en déceler les sujets. À qui s’adresse ce « Viendras-tu ? ». À un être proche ? Au poème ? À l’émotion ?
Mêle /ton nom mon ombre et lèvres/ aux pétales du ciel. / Voltige !
Le livre est le fruit d’une quête de plaisirs sensoriels éprouvés au cœur de la nature. La poète crée un lien avec elle. Elle le tisse dans l’exhalaison de senteurs, l'inouï des paysages et des
couleurs.
Mais de poème en poème le lecteur perçoit la présence d’un « autre ». Et la quête se métamorphose en celle d’un temps ou d’un être perdu.
J’ai bu, longtemps cherché ta ressemblance et, / présage de coquelicot, ma robe nue tournait / le 10 juillet.
L’incarnation que supposent certains vers : « tes cris », « je revois tes yeux », « tu prends ma main », « les heures sans toi. »…nous fait penser à l’absence d’un être cher.
Tout ce que j’observe, devenu légende, abonde. Le poème détache chaque croix, signe, hirsute et sauvage (il sera). Tu. Chaque fois, tu.
Et plus loin
La syntaxe brasse les pronoms ressassés, la phrase les berce, les inverse…
L’émotion née de la nature se mêle aux sentiments intimes. Leurs ferveurs chatoient dans les couleurs et ils sont chamboulés comme un pétale ou une feuille dans le vent. Voltige ! pourrait être une allégorie d’un être face à l’imprévisible de la vie et à la confusion des émotions.
Toi nuage couronne, / Je suis la plume trempée. Nous achevons le cours du fleuve / et les ossements deviennent poussière du chemin, / ombre bordée de fleurs sauvages/…
Isabelle Lévesque circonscrit ici un territoire commun qu’elle partage avec cet hypothétique « autre », innommé et pourtant si présent.
La poussière changeante / livre et délivre l’identique frayeur / de se perdre.
Le « tu » dans son emploi est indéterminé entre le « soi » et cet « autre » auquel le livre silencieusement renvoi. Un « tu » indéterminable et cher, au cœur d’un sentiment passionné qui réunirait - à jamais et à nouveau - deux êtres.
Nous / en cette suspension, / la grâce affine le doute. / Nous / liés à chaque étape, reconnus. /…
Les mots manquent dans la suffocation du chagrin. Et l’écriture, parfois discontinue dans certains vers, est privée de petits mots charnières qui font lien. Mots seuls se succédant pour illustrer le souffle coupé court devant une inadmissible réalité que seul peut-être le coquelicot cautérise.
Le coquelicot recoud au ciel / les brides de mots : corne féconde, / poids d’écorce égratignée/ pour que l’ambre un jour signifie./…
La poésie est un recours. La beauté inouïe de la nature, semblable, s’y accorde. Toutes deux, unies, suturent les blessures de la vie. Je ne peux pas occulter la lectrice passionnée par Thierry Metz, pour voir ici le bras tendu des mots vers un ailleurs inaccessible. À l’instar du poète maçon, Isabelle Lévesque tente de retrouver cet « autre » par la force du refus, celles des mots et de la poésie.
Vivre écrire – sans tourment, / pure perte / pétales nus loin des blés.
hm