Vanités Carré Misère
Yves Boudier
Éditions L’ACT MEM
N° ISBN : 978-2-35513-031-1
Date de parution : deuxième trimestre 2009
Nbre Pages : 144
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Passé l’introduction Propos d’Avant de Michel Deguy et les trois citations de Sophocle, Beckett et de Patrick Declerck, la pagination nous conduit à un face-à-face avec deux carrés picturaux. L’un est la reproduction d’une Vanité de 1650 du peintre David Bailly Le portrait d’un serviteur, l’autre est une photographie prise à Paris en 2005 d’un sans-abri anonyme, qui nous regarde droit dans les yeux. L’homme – le sans-abri - sur la photographie a remplacé l’homme – le serviteur - de la Vanité.
Les Vanités sont des natures mortes, représentant des possessions terrestres, au milieu desquelles la représentation d’un crâne rappelle la temporalité de la vie. Le livre est composé de huit ensembles tous ponctués en introduction de vers de L’épitaphe de François Villon Frères humains qui après nous vivez,... Les poèmes présentent une écriture à la forme scindée en deux parties. Caractérisée par cette forme générale évoquant la scission, l’écriture se nourrit à des scènes issues, nous semble-t-il, de la vie quotidienne, de tableaux ou de photographies. Yves Boudier suggère que ces hommes errant dans nos villes s’apparenteraient à des Vanités modernes. Comme l’homme sur la photographie, traînant dans un chariot de supermarché les vestiges des choses qui emplissent notre vie d’Occidentaux. Le dénuement de ces personnes amassées dans les villes, errantes, assises ou couchées comme exposées est conséquent aux fortunes indécentes et à la cupidité qui les accompagne. Accumulations de fortunes parfois iniques et aux excès morbides dont les sans-abri seraient le triste corollaire. Potentiellement inscrite dans ces scènes de rue, dans la détresse et le fatalisme des relégués de nos sociétés : l’ombre de la mort.
Car c’est bien de mort, dans une vision première de sa représentation qui est au centre du livre. Des poèmes en témoignent très vertement dans des scènes expurgeant du corps ses organes. Sont-ce des scènes d’autopsies ? Sur la table/ le cœur/ le foie/ un œil/ ou plus loin Ses organes sous ses yeux / les voient défiler Quand l’intérieur du corps n’est pas inventorié, des détails le montrent souffrant. On pense alors à des tableaux Francis Bacon ou à des scènes de tortures. Épines/ sous l’œil / grandes venaison/ de cadavres/ La corde croche/dans l’articulation/ s’étirent les chairs/ jusqu’à la déchirure/ Os tombent au sol / secs – viandes ou encore Celle qu’on aimait/ tant qu’on voulait / (la tuer)/ :jusqu’à lui plier / les phalanges / déjointer / le cartilage / de sa / voix/ (sa grâce) Le corps expie. Mais pour quel crime ?
D’autres poèmes nous montrent des scènes de rue : Couchés/ sur les grilles / d’où souffle/ une vie épaisse / flaques d’huile/ de pisse/ poussettes orphelines/ écrasées / de sacs /… et nous recroisons soudain dans notre mémoire ces Carrés Misère éparpillés dans la ville cosmopolite. Abris de fortunes le long des voix expresses couches innommables, matelas de cartons, baldaquins noirs de sacs poubelles, apostrophes des passants que nous sommes. Ces scènes Yves Boudier les traque dans la cartographie des villes. Elles le happent, l’interpellent. Lui l’homme, le passant et le poète ensemble. Ce livre est le fruit d’une solidarité vraie où Yves Boudier nous interpelle à son tour. Il intercède et unit sa parole, par les courtes citations et fragments qu’il cite, à celles de poètes et d’écrivains que sont Shakespeare, Appollinaire, Paul Celan… Cela suffira-t-il pour que notre société mondialisée sorte de sa léthargie amnésique ? Ce livre entre en confrontation directe avec les symptômes de notre temps malade. C’est bien là le travail du poète que de baliser les précipices. Une menace, le sombre, la mort rôdent ici explicitement. C’est le livre d’un poète qui interroge son époque. Et en se questionnant sur notre société, Yves Boudier nous interroge, à notre tour. Naissons / un par un / mourrons / un par un / tomberons d’un corps / à son tour / (de) lui-même / tombé/ nu /comme un mortel / délié de son labeur / Chacun paiera sa dette / : horizontal
hm