Un bouquet pour les morts
Georges Guillain
LD éditeur
ISBN : 978-2-9551736-4-0
Février 2018
62 pages
12 €
Champs de blé… arbre… nuit obscure… ou herbes folles en couverture que l’imagination décèle, les belles gravures de Marie Alloy accompagnent avec sobriété les poèmes de Georges Guillain.
Le livre est composé de trois ensembles que complète (une note) Au lecteur pour préciser les contours de l’écriture du livre. « Nous ne pouvons parler que de nous-mêmes. Et encore. Que savons-nous de nous ? » écrit Georges Guillain, exprimant une défiance sur la persistance de ce qui est dit, même sincèrement dans l’écriture. Le temps balaye tout. Il y souligne aussi l’impossibilité de traduire l’inexprimable de la réalité toujours en avance d’un temps sur l’écriture. Rien ne rivalise avec le réel fussent-ils des poèmes, tels ceux d’un précédent livre du poète « Compris dans le paysage », qui évoque le terrible camp de Struthof. Avec cette postface Georges Guillain interroge le pouvoir et les limites de l’écriture et pose en filigrane cette question : Que peuvent le poète et l’écrivain ?
Dans Un bouquet pour les morts, l’auteur donne écho aux bouleversements intimes qui suivirent ses visites sur les champs de bataille du Nord. Ses mots se veulent comme des fleurs déposées au pied de la mémoire des jeunes soldats de quatorze tombés dans les campagnes d’Artois ou de Craonne. Dans le poème parfois, la césure des vers fait la voix hésitante. Comme on avance un pied sur le parterre des morts, Guillain pose des mots à l’effigie des absents auprès de
Noirs ballets de mouches / sur la terre dissipée / des pommes
À la suite de ses visites, rattrapé par des sentiments forts, de pertes et de désastres humains, il écrit ces poèmes qui remontent doucement en lui comme la résurgence d’une peine longuement contenue.
Avec Nous apprenons la terre ! (prosopopée), ensemble de trois poèmes qui commence le livre, le poète donne d’abord parole aux absents que la terre recouvre. Ces jeunes soldats de la grande guerre tombés trop tôt sur les terres d’affrontement. Et par une dédicace Aux enfants qui ne seront pas nés des soldats de Craonne, Georges Guillain souligne les vies interrompues et la fin de filiations possibles.
Les poèmes, les vers… fruits du regard et de la sensibilité du poète sont tournés vers le réel des sites qui persistent aujourd’hui dans le poids des années. Le présent et le passé se croisent ici. Des paysages intérieurs s’échafaudent au rythme des pas du poète qu’on imagine parcourant les anciens champs de bataille ou les cimetières témoins du fléau de la guerre. Une empathie s’élève et fait revivre à l’auteur, moments terribles et derniers instants, avec la peur omniprésente.
Ici chaque coup de fusil. Comme un volet qui claque.
La poésie de Georges Guillain s’empare aussi du mot et de la lettre dans leurs représentations calligraphiques pour dire l’au-delà du réel. Cet impensable qui existât pourtant ! Les mots enflent parfois, se verticalisent, se déforment, s’imposent autrement. Occupent ici et là le territoire de la page de manière atypique : car comment dire la brisure du sentiment de perte et l’indicible de la peine ? La page aussi est un champ de mémoire et d’hommage. Au-dessus de tranchées effacées sur ce terrain de guerre, le poète franchit dans une enjambé de solidarité le siècle passé. L’imagine en son for intérieur.
Je n’interroge pas. J’approche.
L’écriture du poème devient épopée intérieure qui mêle les pensées aux anfractuosités du terrain où souvenirs personnels et narration historique s’imbriquent. Tout alors dans le poème est pêle-mêle : intime, réel et histoire comme un territoire commun à tous les êtres.
Je sais. / Comme un buvard. Mon père aussi la vie l’a bu
Le livre est un hommage aux disparus, aux hommes de la grande guerre et aux siens. Avec les réminiscences personnelles et intimes qui se mêlent à l’Histoire, c’est aussi l’esquisse du poète discret, exigeant et sensible qu’est Georges Guillain qui nous apparaît dans ce paysage fait d’empathie et d’une humanité vraie.
HM