Rue Chair et Foins,
Gérard Noiret,
Tarabuste Éditeur,
1er Semestre 2022.
(note parue dans Le journal des poètes 1/2023)
Onze ans après avoir obtenu le Prix Max Jacob avec Autoportrait au soleil couchant paru aux éditions Obsidiane, Gérard Noiret fait paraître chez Tarabuste ce livre au titre bien énigmatique : RUE CHAIR ET FOINS.
Depuis 2011, le poète a publié En Passant chez François Boddaert et n’est jamais resté éloigné de son travail littéraire ou artistique, tout en assurant le rôle de passeur qui lui tient à cœur. Notamment avec ses activités de critique chez En Attenant Nadeau ou au Monde Diplomatique et celles d’animateur d’ateliers d’écritures au long cours à la Bibliothèque Paul Eluard de la ville d’Achères (78). Durant ces années, le collagiste que l’on connaît moins, s’est aussi tenu proche de nombreux peintres dont Frédéric Cubas-Glaser ou Jean-Louis Gerbaud.
L’ouvrage est composé de deux ensembles « Un beau désordre » et « En Passant » dont les poèmes évoquent des moments particuliers saisis lors de voyages à l’étranger.
Sitôt passé les premiers poèmes du livre, le lecteur familier du poète retrouve, posés sur des scènes de la vie quotidienne, le regard et la voix de Noiret.
Une des singularités de sa poésie, se tient sans doute dans le décalage qu’opère son regard avec la réalité.
À cet égard, la citation de Jean Lacoste ou l’exclamation d’une « petite fille d’Oullins », citées en préambule confirment chez Noiret l’existence d’un écart nécessaire avec la réalité dans l’écriture du poème. Écart qui peut prendre différents aspects comme une illusion d’optique ou la réflexion différée d’un temps de réaction.
DÉNOUEMENT
Au cœur du conflit
Espérer la main
Venue du plafond
Qui nous sauvera
D’un
Grand roque magistral
Le poème ici se découvre comme le tableau d’un peintre ou un paysage photographique dont l’auteur a choisi le cadre et montre sous éclairage, les sujets qu’il y placent. Scènes visuelles mêlées aux ressentis du poète dans des angles de la réalité ouvrant à des interprétations particulières.
Les poèmes naissent de ces observations. Ils sont comme des pauses dans la vie qui s’écoule et aident le poète à comprendre ce qui vraiment se passe sous son regard, dans les mouvements de la pensée et du temps qui s’enfuit. Car tout va trop vite. Où donc alors est la vie vraie ? Le poème de Noiret a alors pouvoir de marquer le pas, de songer à l’origine des scènes et de montrer tel un microscope ce qui se joue dans le chaos du monde. Il permet d’ôter la gangue de l’habitude, du prêt à voir ou à penser que la vitesse de notre époque et de son quotidien nous tend infiniment.
COMPARUTION IMMÉDIATE
Plutôt minus
Les cheveux en bataille
Ses yeux verts
Suffisent à son bonheur
À condition toutefois
D’avoir sous le pied
Une pédale d’accélérateur
Ce sont de petits mots parfois, presque anodins, qui permettent le déplacement nécessaire pour que la signification d’une observation dépasse son sens premier ou apparent.
Les « ou encore » ; « et pourtant » ; « d’ailleurs » … permettent de changer l’angle de vue, la position du regardeur.
Le poète ainsi appréhende des situations qui retiennent son attention, sans se laisser abuser par le naturel ou la spontanéité apparente du réel dont il se méfie.
L’acuité de son regard perce la réalité de ces moments, en cherchant à déceler ce qui, au-delà peut résonner d’un décalage signifiant.
Les nuages ne se reflètent pas
Ils ont déjà
Suffisamment à faire
Pour figurer
Ce quelque chose
Qui passe à autre chose
La poésie de Gérard Noiret est d’abord visuelle, elle naît dans son regard. Elle parle des êtres Pris dans les choses. Elle parle de leurs vies. Et on pourrait presque re-titrer ce livre Cette est la nôtre, comme le livre éponyme du poète Benoît Conort.
Gérard Noiret est un observateur attentif du monde qui l’entoure. Il en capte des échos dans des lieux parfois banals : Une brasserie ; Un train qui longe les bords de la Marne ou encore près d’un banc… Il saisit ces instants de réel et déroule par ses questionnements les inattendus qu’ils provoquent.
Le livre est comme un inventaire de réminiscences sauvées par le poème.
Il est aussi je crois une anthologie de moments signifiants et de souvenirs infimes – intimes – que recèle la mémoire du poète parcourant, sans regret, la dernière étape de sa vie.
Un 15 août
Bien que les couleurs multiplient
les signes apparents de jeunesse,
le sentir : les jours
raccourcissent, la chaleur a tourné.
Néanmoins, s’embrasser parmi les tournesols,
Des lézards en points d’exclamation,
applaudir le paysage qui improvise,
habiter l’or… même si,
témoins de la fin des utopies,
réservés quant à l’espoir, on le sait
chaque saison vécue
est un miracle de moins à vivre.
hm