PRIS DANS LES CHOSES
Gérard Noiret
Éditions OBSIDIANE
(Cet article est a paru dans le numéro 173 d’Action Poétique.)
Ce sont des poèmes écrits entre 1985 et 2002 qui composent le huitième livre de Gérard Noiret. Ces poèmes pris dans les choses - de la vie - sont comme des miniatures, des instantanés de l’existence. Le regard est une des voies de passage du monde vers notre vie intérieure et si ces poèmes sont très visuels, il s’agit là d’un premier niveau de lecture.
En observateur assidu Gérard Noiret pointe avec acuité les détails, les gaucheries, les désarticulations de notre société. Il saisit ces scènes et dé-couvre pour le lecteur, les êtres sous une autre apparence que celle d’une réalité aperçue dans le champ d’un regard. Si on songe à Ponge, dans ce percement du réel et par ce titre, je pense aussi au film de Claude Sautet, Les choses de la vie. Scènes de vie dans l’espace commun de la ville où les êtres se regardent, se rencontrent, se désirent, tel ce « Sisyphe heureux » dans le premier des poèmes du livre.
Chaque matin, le nu de 7H01 traverse le couloir.
afin de saisir au vol cet éclair.
Dans ce quotidien là pas de banal mais une vision en contradiction avec ce vocable qui réduit la vie en une morosité mécanique. Sous le regard de Gérard Noiret surgit la quintessence des vies. En touches précises, ténues, il éclaire un geste, souligne la lumière d’un regard ou accentue une absence – celle d’une mère dans le poème intitulé Baie vitrée - un précipice parfois dans la trame d’une existence. Gérard Noiret aime les êtres. Il les place au centre de la scène de vie. Il les élève et l’être en eux, alors, plus qu’un corps qui se découpe dans notre champ de vision, s’éclaire d’un coup dans une perspective qui réunit l’individuel et l’universel, la nécessité et l‘implicite, le libre-arbitre et la contrainte. À ce moment, la vérité et la justesse ne sont jamais si près.
Dans les poèmes polyphoniques (Incertaines créatures, Dans les réserves,…) on devine une approche du théâtre que Noiret affectionne. Leurs vers comme des strates superposées, se frottent, se contrarient et s’agrègent vers un sujet absent : l’ellipse d’un destinataire que le lecteur investi. Par propositions successives, les vers qui se complètent en suggestions ou en affirmations, nous rappellent que nul ne possède la vérité et que la justesse, - celle de l’approcher au plus près - réside dans les voix de la communauté.
Ce qui est dit ne réside pas uniquement dans ce qui est écrit mais se construit à mesure dans l’esprit du lecteur par une dynamique que le langage déploie. Cette succession de vers, dont on ne retrouve pas la prolongation du propos à la ligne, crée en nous des sensations semblables à celles éprouvées face à des aquarelles quand le regard cherche indéfiniment, formes et reconnaissances.
Ce livre est écrit sous l’auspice des poètes. Qu’ils soient disparus ou nos contemporains bien vivants, ils irradient le livre en des titres et en des dédicaces. Outre la poésie, la peinture par ces hommages à Arcimboldo, à Ernst ou à Jérôme Bosch y est représentée, comme la musique, l’architecture ou le théâtre le sont de manière allusive et par touches.
Le livre s’achève par Hommage aux 13 juillet, un poème dédié « à une génération » de poètes où Gérard Noiret avec ironie et désenchantement, stigmatise l’indifférence qui prévaut aujourd’hui, malgré les augures parfois sombres annoncés à grand voix, en des vers éprouvés par nombre de poètes.
Mais, rejoignons Les amants dans leurs poèmes qui parsèment le livre. Ils demeurent un fil d’Ariane d’espoir et sont comme une queue d’étoile filante qui traverserait le livre.
hm.