Pas Revoir
Valérie Rouzeau,
Éditions Le dé Bleu
Un langage. Une langue forgée dans le tumulte des jours funestes. C’est de cette blessure - la perte d’un père -, plaie vive et lancinante que se lève la voix. Dans cette perte, beaucoup de soi. Dans l’élan de sa révolte la langue convoque toutes les composantes de l’être. Les souvenirs proches ou fondateurs. L’enfant, la très jeune en soi toujours vivant et l’être d’aujourd’hui, la fille et le poète ensemble. C’est ce dernier qui rameute les ressources de l’écriture. Répétitions, allitérations, et homophonie même, dans ce vers :
Nous n’irons pas nous n’irons plus / pas plus que nous n’irons que nous ne / rirons pas que nous ne rirons plus que/ nous ne rirons ronds./
mais aussi, invention en guise d’évitement - comme une distance - à la tragique réalité :
/Tout le sang poison à cause de la bile / qui poisse maintenant laratélefoie /
Des vers qui mêlent parfois la forme et le fond :
/ te parler papa j’ai pu te paparler un / peu un petit peu paparce que nous / n’avions plus tout le temps/
- ou encore -
/ Toi ta petite voix que couvre celle des / chèvres en balaaade toi malaaade disant / à maman mots secrets mots infimes de / tendresse grande et comme elle belle.
Inventions, ellipses, mots d’enfant, approximations, ... sont autant de recours que procure la langue pour se défendre contre l’inadmissible qui surgit.
Celle qui parle est tout ensemble réunie -une - par l’alchimie de cette poésie. Alchimie de cette langue qui dans un déséquilibre du vers, un rythme recréé, l’emploi parfois d’un langage enfantin, laisse poindre une fragilité. C’est l’innocence et la révolte rassemblées contre l’inconsolable perte, la mort d’un être cher. Assurément cette langue est belle et juste. Elle nous éprouve dans ce sentiment d’éphémère intrinsèque à tout vivant.
Il faut lire Pas Revoir. Ce livre, empreinte de la voix du poète, pose une stèle dans le champ étendu de la poésie contemporaine.
hm