Mourir ne me suffit pas
Pascal Boulanger
Éditions de Corlevour
N°ISBN : 978-2-37209-024-7
juin 2016
(Note parue dans le numéro 1156 de La Nouvelle quinzaine littéraire. )
Après ses derniers livres, Le lierre la foudre, Au commencement des douleurs ou Guerre perdue paru l’an dernier, Pascal Boulanger continue à creuser un sillon d’écriture dans l’atmosphère d’une société contemporaine qu’il pressent à bout de souffle. Il regrette son esprit de défaite et le renoncement à ses propres valeurs.
Avec une belle préface de Jean-Pierre Lemaire qui propose une analyse éclairée du livre, Mourir ne me suffit pas, s’ouvre sur cette citation de Pierre Reverdy, « je n’ai pas assez de place pour mourir », tel un écho au titre.
Le livre est composé de deux ensembles. Le premier, éponyme au livre débute par le poème intitulé Finistère. Ce choix, au titre imageant la fin de la terre et le début du territoire maritime n’est pas fruit du hasard. Il renvoie à la mort et à cette vie d’après, en laquelle le poète espère. Le second ensemble Trame évoque l’atmosphère de notre société telle que la ressent le poète. On y retrouve les thèmes chers à Pascal Boulanger. Des scènes y sont esquissées autour de personnages à la culture moyenâgeuse, aux pratiques frustes et brutales que l’auteur déplore.
fougueux furieux ils jaillissent des bauges / les soies dressées les prunelles en feu /dévastant, en bavant & en crachant,…
Et avec toujours en arrière plan, la croyance religieuse dans le christianisme.
Les poèmes du livre sont courts et sont tous titrés. Leur écriture est maîtrisée tout au long de l’ouvrage dans une même tension. Elle déploie des métaphores aux échos sibyllins, aux vers décrivant des scènes oniriques et mystérieuses, et où errent parfois en filigrane des figures bibliques. Elles accompagnent le lecteur sur les territoires du poète dans la sensibilité et la nature des émotions qui le portent. Les images sont complexes dans leurs enchevêtrements et leurs suggestions. Elles traversent souvent plusieurs strates de sens. Le lecteur les approche et les apprivoise. Et peu à peu elles prennent formes par le continuum de la lecture dans son imaginaire. Il est alors emporté dans un espace singulier, aux frontières du mysticisme et de l’allégorique, du désenchantement et de l’espérance religieuse. Un territoire entre le ciel et la terre, entre réel et espérance, entre luttes et défaites, au cœur du questionnement de Pascal Boulanger. Les vers avec des images d’inspiration religieuse et onirique transportent le lecteur, qui cherche alors des références pour y nourrir sa lecture. Il est cahoté entre l’évocation de vers suscités par le réel et leur pouvoir de suggestion. Il recherche sans cesse des fils pour démêler l’écheveau poétique.
Avec ce livre Pascal Boulanger apporte des considérations plus personnelles. L’amertume est moins décelable, sa sensibilité plus aiguë et sa présence y sont davantage palpables que dans des livres précédents.
Ainsi, dans le premier ensemble où le poète semble faire un point sur son existence et évoque sa mort.
À l’approche de la mort/ familier des sursauts/derrière les fenêtres/ - je le sens bien - /j’ai trop duré / perdant courage/ - jeté pour rien.
Dans la perspective d’un futur bilan, le mal qui progresse appelle une défaite personnelle.
Le mal progresse, j’accepte la défaite/ dans la gloire des roses premières/…
Et parfois même, le doute tiraille le poète quant à l’utilité de son engagement poétique.
Le poème écho sonore d’une intuition /tombe-t-il dans le vide/ ou monte-t-il au strapontin du ciel ?
Avec Trame, c’est l’enfance du poète qui éclaire parfois des poèmes. Les sources de son histoire y affleurent par instants réduisant les distances entre la pensée, la croyance et le corps. Avec ce retour vers soi, le corporel pèse de sa présence sur la parole poétique. Et si la quête du poète demeure ce paradis possible, c’est vers celui perdu de l’enfance qu’elle semble nous conduire ici. Celui du rêve et de l’insouciance quand tout était encore possible à l’âge des premières années,
Il lui était facile de passer / de l’autre côté du miroir/…
Pourtant l’espoir persiste et l’existence se poursuit vaille que vaille,
Sur les ruines du jour tremblant/ on se cache en rêvant d’échapper / au monde tel qu’il est.
même si, les belles histoires de l’enfance perdent un peu de leur aura,
il est trop tard pour porter secours au refrain des nourrices.
Et tandis que les valeurs qui érigèrent les fondations de notre société continuent à basculer dangereusement, le poète semble se rendre à seule évidence possible,
Nous sommes au monde / c’est sur la barque de Charon/ que nous naviguons.
Comme dans ses récents livres, Pascal Boulanger désespère de l’homme et de sa conduite, espérant le surgissement de celui ou de celle qui sauvera peut-être le monde de ses errements funestes. En attendant, et comme pris à témoin de ce constat douloureux, nombreux sont les dédicataires de poèmes. D’ouvrages en ouvrages, ils se succèdent et s’accumulent. Les livres ouvrent comme un dialogue avec l’autre et les poèmes qui interpellent et prennent à témoin, rassemblent autour d’eux une communauté de contemporains, de poètes et d’amis.
hm