LA PAIX SAIGNÉE
précédé de CONTRÉES DU CORPS NATAL
Marie-Claire Bancquart
Éditions Obsidiane
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Au cœur : une genèse
« contrées du corps natal » est le premier des deux ensembles qui composent le livre. Proses poétiques et poèmes y alternent sous une écriture où coexistent deux voix.
L'une de ces voix est différenciée de l'autre par l'aspect italique de son caractère d'impression. Toutes deux, indépendantes de la forme - prose-poème - se font entendre tout
au long de la lecture du livre, quoique d'une moindre manière dans « La paix saignée ».
Non loin de la chronique, « contrées du corps natal » est une narration poétique en quête d'une histoire qui prend racine en deux pays natals. Le
Pas de Calais et l'Aveyron ; Desvres et Saint Aubin, deux villes ; un nord et un sud, deux pôles ; deux pays d'où sont originaires les familles paternelles et maternelles de
Marie-Claire Bancquart. Des proses poétiques et des poèmes qui situent géographiquement ces pays et en livrent une histoire reconstruite autour de faits historiques rapportés par
des érudits locaux et des livres d'archives. Une histoire où les faits et les souvenirs du poète alternent, se relaient et se fondent en une relecture de la
genèse.
persistantes dans la mémoire du poète, d'où
filtre en filigrane un sentiment d'affection pour les siens.
Qui n'a jamais songé à ses ascendants ? Imaginé ces hommes et ces femmes emportés par le quotidien dans leurs histoires singulières, criblées de joies, de
peines, ce tamisé des jours. Qui n'a pas alors éprouvé ce besoin de rendre aux siens comme cette reconnaissance : simplement un salut, digne et à hauteur des
yeux.
D'un mouvement vers l'autre
Peut-être le mouvement de la poésie entraîne-t-il, autant que vers le temps passé, vers « un passage en avant » ? s'interroge Marie-Claire Bancquart. Sans doute
alors n'est-il pas étonnant que la forme de ce livre soit sous-tendue par les influx de ce mouvement qui entraîne le poète, par-delà cette notion du temps, de soi vers l'autre ; du -
singulier - de sa propre histoire vers celle universelle des hommes, emportés dans les tragédies de l'Histoire ; de l'extérieur - le monde- vers l'intérieur - ce soi
intime - . En témoignent les poèmes dont la double nature - la source de la voix - est précisée par les caractères italiques de certains passages. Témoin aussi, le premier poème de
La paix saignée qui marque cet instant d'un basculement perceptible - un axe de ce mouvement - d'une culture à une autre, d'un monde vers l'ailleurs.
Et ce - passage en avant - ne s'opposerait pas seulement à cette notion du temps passé, mais s'identifierait à un positionnement - au front -. Celui qui place le
poète - en avant - de ses contemporains et le confronte ainsi aux questions essentielles de l'existence humaine.
Il s'agit bien de cela, apprendre et comprendre le monde. Et il ne s'agirait pas pour cela, tant d'appliquer des règles précises et de suivre des procédures, que d'éprouver un processus
d'apprentissage. Et celui des défricheurs de territoires humains que sont les poètes est du domaine de l'expérience humaine, du ressenti du corps, de la compassion pour cet
autre-soi : l'autre, l'homme. Voilà peut-être la volonté de ce livre.
Comprendre le monde, précisément dans ses renversements violents. Percer cette énigme de l'homme. Résorber les traces d'une plaie qui demeure béante dans cette lancinante Histoire
des hommes.
La compassion naît dans le champ de cette réflexion poétique et empathique avec l'autre-soi. Cet alter ego du bout du monde ou du fond de notre rue, qui éprouve dans
sa chair, son cœur, comme en le nôtre, les épreuves de la vie.
Les voix
Deux voix se croisent dans le livre. Alors que la première voudrait s'en tenir aux faits, à la description des paysages, à la datation historique, à la différence des climats…, la seconde
restitue en souffle le fruit de cette confrontation en soi, à ce qui fut passé : cette remémoration. Et cette voix dépasse l'évocation, relie à soi et mêle ainsi en ces histoires
humaines, les pulsations vives du corps du poète.
La poésie qui s'exprime ici ancre son articulation au moment même de cette alternance, entre cet évoqué et ce restitué du sensible. Que se passe-t-il, au juste, au cœur vif du
poète dans ce balancement, ce mouvement de soi, ce déplacement d'être ? Un séisme ? Une alchimie poétique œuvre entre les propres souvenirs du poète et la mémoire conservée de
l'intime de ses proches, emportés dans les méandres de leur vie.
La voix de Marie-Claire Bancquart se scinde en deux paroles. Celle d'une constatation qui relève, décrit - dé-crie ? - et une seconde plus intérieure et méditative.
Parole d'une métamorphose qui traduit le ressenti profond, ce surgi, de la confrontation entre la réalité du monde et cette vitalité de l'intime.
« au moins cela : / crier le cri »
Le prix d'une survivance
Voilà bien la nécessité du poète : dire cette perception sensible du monde, le sien mais aussi celui de tous. Les hommes mortels. Humains au monde. Rassemblés sous
l'égide du corps, ce dénominateur commun où rythme le battement de nos veines.
Au cœur de La paix saignée est la dualité constitutive de l'être humain. Cette part d'animal qui subsiste en lui et cohabite avec l'être social. Cet instinct,
qui pour sauver le corps de l'Être, commettrait dans l'instant n'importe quel crime.
Ce qui est au cœur de La paix saignée, c'est l'homme, disponible à toutes résurgences, ces traits de caractère que sont – force, brutalité, égoïsme — érigés en valeur
et usés au profit d'un ego. Cette vision binaire, opposant l'instinct du geste à la médiation de la parole, est sans doute nécessaire pour approcher le point
d'une rupture entre cet Être que plusieurs millénaires de culture ont civilisé et celui à l'instinct animal qui demeure en lui - en nous ! - et qui veille
à la pérennité du corps.
Il n'y a pas de poésie qui ne nous place au bord d'un gouffre, dans le vertige de notre image, devenue sous notre regard étincelle macroscopique et infinitésimale. Le rien à l'échelle
de l'univers. Cet homme qui ne vit que dans l'équilibre nécessaire à sa survivance.
Dès les premiers poèmes d'Un Nom, Personne, Marie-Claire Bancquart traque en elle cette dualité : la part de notre image double. Cette ombre aux lignes imprécises, reflet
indéfectible dans le miroir » l'autre en résidence dans ton corps ». Et la part sombre et bestiale voudrait ici s'incarner, celle « qui me jette/ ici et là / en
bourreau » et dont Marie-Claire Bancquart dit :
« je voudrais qu'elle sorte. / Je l'annulerais / entre mes ongles «.
Aux limites d'une
transformation
Mais au-delà, ce sont les limites du territoire de l'homme qui sont esquissées. Limites du corps : « …cette autre /qui mange et tient de la main
droite/… » ;de la finitude : « je sais mon corps en location, promis aux humus. » ; de la perception de sa propre existence : « Nous sommes
vécus par les choses friables, / bois des meubles, papiers, / par les lèvres des autres, leur mémoire,/… ». À mesure que cette cartographie du territoire humain se trace, la
conscience de la finitude humaine se précise : « Ombre / tu es un nom / à la merci des heures / ». Cette part d'ombre - ce bord d'abîme - prend à mesure des poèmes le
visage de la mort qui s'annonce :
« La mort, on y pense aux matins d'été / quand le vent est tendre sous les platanes. / »
Une mort qui transmue le corps : « tu donneras corps / à notre appartenance : lucioles, maïs mûr. », en pérennisant l'essence de l'Être dans le cycle naturel
de la vie. Et le corps est éphémère. Ce sitôt nommé, déjà volatilisé en son nom même de Personne - l'être humain - et la seconde acception de ce mot : « la parole effaçable ». L'homme en ce nom porte sa fin en lui. Mais nous lui opposons l'espoir qui seul répand des saveurs - de
jouvence peut-être ? - en des fruits : cerise, mandarine, quartiers d'orange,… : « …Éden au parfum de dessert pour petite fille ». Limite également, la nuit
est présente : Notre vie impaire. Celle d'où « Nous respirons notre air d'angoisse. » et en laquelle « Tu frôles les oiseaux et les scarabées, » nuit
du rêve et des « tendresses, pénétrantes aussi / quand la peau attire / avec douceur, comme un intérieur de poumon. ». Lieu où quelque chose de volé à la forme d'une cerise
qui roule, comme un fruit chapardé au verger de la nuit
Par-dedans, les racines
" les mots / nourrissent ailleurs votre vie ; enfouis, agents secrets sur le chemin des nerfs,/"
La poésie de Marie-Claire Bancquart s'enracine en
quelques mots ancrés au profond de la langue. Deux reviennent à de nombreuses reprises, s'arriment, imposent leur présence au fil des poèmes. Arbre et
sang, la sève d'un corps devenu arbre ?
Près d'eux sont également présents, les fruits ( pêche, mandarine, orange, citron, raisin, châtaigne, melon,...) comme l'est en filigrane le monde du végétal ( bégonia, iris, fougère,
feuille de menthe, hémérocalle, la forêt, le pré,... ). Ils forment ensemble un humus fécond à la poésie.
Dans le poème Tu viens du vent ce vers semble être un présage : « le vent annonce une sublimation alchimique . » , peut-être celle qu'opère la poésie,
à moins qu'elle ne fût celle de la transformation future du corps après la mort ?
« Entre nous se dessine un arbre / sur le trottoir peuplé, dont les passants / soudain forment verger, avec sous leur peau l'aubier tendre. »
Un onguent de mots
La paix ? À quel prix toujours ! Celui du sang versé par » ces vies passagères et si précieuses » dans la violence, la barbarie de la guerre. La paix,
toujours temporaire. La paix, signée avec ce vif en nous, cet indompté instinct qui survit et soudain rompt la trêve. Cet autre. Ce sombre. Ce noyau nuit, vestige des premiers
temps. Ce rescapé, qui contre et cohabite avec cet être de culture maintenant devenu homme. Individu socialisé, un être de langage. Langage qui à mesure fit lumière en
notre conscience - là - d'où nous percevons et discernons du monde, la proie et l'ombre.
hm