Jusqu’à très loin
Romain Fustier
Éditions Plublie.net
Collection l’esquif.
ISBN : 978-2-37177-608-1
24 février 2021
15 €
(Note parue dans Le Journal des poètes)
Précédé d’une citation de Jack Kérouac suggérant l’abandon de la ponctuation et l’usage du tiret Jusqu’à très loin se compose d’une centaine de dizains en prose évoquant les moments ordinaires et uniques qui parsèment une histoire d’amour.
Prenant acte de la prévalence du réel, Romain Fustier choisi cette forme qui lui semble témoigner le plus fidèlement possible d’une réalité vécue ou ressentie comme telle. Dans le texte des éclats de souvenirs se suivent en une succession de scènes au gré des caprices de la mémoire. Sans ponctuation et sans majuscule, séparé uniquement par des tirets, le flux des souvenirs s’écoule au plus juste semble-t-il d’une pensée immédiate.
Peut-être dans un ordre chronologique ou dans le désordre des réminiscences surgies, possiblement ponctués d’imprécisions temporelles susceptibles d’altérer la fidélité au réel, ces instants de mémoire charpentent le livre. Par courtes phrases ils sourdent et s’inscrivent dans les proses. Gestes, objets, lieux, paroles, pensées ou sentiments sont évoqués dans cette suite mémorielle. Instants de soi partagés avec l’aimée qui accompagne, près des proches que l’on porte en son cœur. Au plus près de la sincérité, délaissant tout lyrisme, Romain Fustier recherche et inventorie les moments de sa vie écoulée.
– et je reste au bord d’avoir vécu je songe à tout ce qui va disparaître – entre le passé et l’avenir – éprouvant quoi donc qui je ne sais pas
Dans les traductions de sa mémoire, avec des répétitions de mots marquant l’intensité, l’auteur cherche un rythme au texte, une musique, un souffle…
tes lèvres lèvres – je les aime je – tu m’as dit tout à l’heure soudainement tout à l’heure – m’embrassant m’embrassant
Dans cette pérégrination intérieure Romain Fustier prend conscience de la fugacité du temps et de sa fuite inéluctable.
– j’éprouve j’attends – cette éternité en allée cette éternité en alerte – sans espoir de retour sans aucun doute
Avec ce souffle comme ininterrompu de la remémoration et cette urgence à dire, le texte maintient la forme du dizain du début à la fin du livre.
C’est une langue d’écriture, un langage que l’auteur veut mettre à jour à l’image des souvenirs qui défilent en lui. Une mémoire composée d’un foisonnement d’instants passés près de l’être aimée.
Dans l’évocation d’un souvenir précis, parfois les séquences se mélangent et semblent s’émietter donnant au texte des interprétations confuses. Comme cette phrase embrouillant dans le poème les indices d’un même souvenir.
– décortiquant des marrons plus au sud épluchant son message à fond
La mémoire dans une fébrilité hésite tant les souvenirs ont des difficultés à se détacher du corps. Tant peut-être, le corps peine à retrouver une réalité passée et précise, quand les faits se mélangent,
– de la gare du train qu’elle permet de rejoindre du sentier panoramique qu’ils ont emprunté ce matin – et tout se mêle une bifurcation – ses mots dans le téléphone les images de jadis – continuer en franchissant le torrent à l’horizontale je rembobine – le bas des moraines partir à droite
Les temps se succèdent, les lieux se percutent, les êtres y résident : le livre les sauve de la nuit par la grâce de la poésie.
– jusqu’à toi vers moi jusqu’à moi vers toi
Cette phrase illustre peut-être l’horizon et le désir premier de cette quête d’écriture. Ce cheminement intime au sein d’une mémoire commune qui voudrait coller à la réalité passée et qui rassemble des souvenirs parfois épars, comme le seraient sur une table les pièces mélangées d’un puzzle.
Écrire, se souvenir, conserver la mémoire d’heures et de moments passés, Romain Fustier arrête le temps et préserve contre sa fuite les souvenirs qui lui sont chers :
– sais depuis longtemps qu’il faut apprendre à vivre avec sa mélancolie ces petites choses douces et tristes
Au travers de ces remémorations, ces moments de vie parfois fugaces,
– je me souviens ça disparaît
une étape de vie et une histoire d’amour se déplient dans le texte et jaillissent avec la densité des souvenirs et des mots qui se heurtent.
– de la chambre vous verrez Montmartre – je retiens cette phrase du patron de l’hôtel et bonne journée l’ascenseur - la clef dans la porte je me dis qu’en effet - que voici la butte notre histoire est se poursuivre
certains mots ont ce pouvoir ils m’aident à vivre – le
mots vacances le mot tu – le mot mer ton prénom
– et des noms de fruits le nom figues – que tu as
ramassées nous les partageons – avec le nom amour
avec le nom jardin – le verbe embrasser le verbe
enlacer – s’étendre s’étreindre – ces pays aussi où
nous sommes allés ensemble je me les répète – tu
me les évoques t’évoquant – danemark états-unis
– que j’écris t’écrivant – comme ce village plus
près de nous avec toi son étang encore présent
hm