Guerre perdue
Pascal Boulanger
Éditeur Passage d’encres
Collection Trait court
ISBN : 9-782358-551168
Octobre 2015
40 pages
5 €
Un livre qui s’avance d’abord avec son titre vers le lecteur est souvent une énigme. Et ce court livre, « Guerre perdue », bien avant sa lecture m’invite à l’imagination en me suggérant des mots, parmi lesquels conflits, combats, belligérants, morts, défaite… Celui de guerre avec les sens d’affrontements, de batailles me renvoie à la lecture de Tacite¹ et aux ruptures qu’une société peut engendrer entre elle et ceux qui la composent.
Dès les premiers poèmes des protagonistes s’avancent avec ces conquérants agresseurs venus des mers, ce peuple des petites gens ou ces moines au sein de leur monastère. Les scènes de batailles renvoient à des guerres moyenâgeuses, dévastant les territoires et les hommes,
« Des bourgs hier fortifiés / après le pillage & l’abandon / fument encore jusqu’aux routes fluviales / Selon ses forces, certains défrichent de nouveau /le sol jonché de cadavre / … »,
massacrant les enfants,
« des enfants embrochés sur la pointe des lances /… ».
Alors dans un des premiers poèmes, une question centrale est posée pour savoir qui de la société ou de ceux qui la peuplent est le plus précieux de nos biens :
« que vaut la vie d’un homme /… »
Qui du système ou des hommes recèle la valeur première de vie ?
Poursuivant la lecture parmi ces épisodes guerriers, des scènes meurtrières et barbares se succèdent:
« Femmes adultères & sorcières/ jetées dans un fleuve ou à la mer /… »,
« … / ou celles enterrée vivantes / un roseau sans la bouche / pour retarder l’asphyxie, / »
laissant des cadavres sur le sol et les femmes hagardes et sans voix, victimes de la guerre portée jusque dans leur corps :
« Les femmes accouchent d’une rangée de cornes / & les morts, livrés aux oiseaux de proie / pour être décharnés, /… ».
« Quand ils descendent vider les ordures / dolents et tristes – / guidés par sept anges infernaux / les soixante-dix marches de l’enfer / »
Pour l’auteur, ce qui est écrit dans les textes bibliques, l’Apocalypse notamment - semble s’incarner sur terre et prendre matière dans le quotidien ou le chaos de la guerre,
« Bien que souterrain l’enfer / c’est encore la terre »,
engendrant dans le monde,
« d’amères déceptions ».
Le thème religieux avec le christianisme s’invite presque naturellement dans les derniers livres de Pascal Boulanger. Et celui-ci, livre de déploration de l’état du monde n’y échappe pas,
« Ils n’ouvrent jamais le Livre / orné d’or et de pierres précieuses / le Christ vivant des Évangiles leur suffit /… ».
Si les descriptions de guerres semblent d’une autre époque, bien que la barbarie soit immémoriale, elles constituent une parabole poétique autour de la perte de valeurs et de la défaite d’une société, telle que la perçoit le poète. Et la foi semble ici moins une protection qu’une espérance. Pour Pascal Boulanger, le monde semble avoir perdu son sens en abandonnant la foi chrétienne :
« - perte & absence / - ennui, supplice du doute / - conscience malheureuse / … »
et plus loin,
« Fallait-il abandonner la loi de Moïse /& entrer dans l’histoire /… »
Il faut interpréter ce livre à l’aune des bouleversements que subit notre monde. La perte des valeurs, la transformation des manières de vivre, les découvertes des sciences, la migration des peuples et le partage des cultures… se sont accélérés comme jamais auparavant au cours des dernières décennies. Pascal Boulanger en prend acte. Il préconise à nouveau un retour et un attachement aux faits et à la croyance chrétienne. Que nous soyons en accord avec lui ou en opposition sur ce point, gageons que le constat et la réflexion sur notre monde sont nécessaires, sinon indispensables. Et en cela le poète qu’il est, est bien au cœur de son rôle dans la cité en ouvrant le débat.
HM
¹ : Tacite, Pascal Boulanger, Éditions Flammarion, 2001