Est-ce que tu me vois encore
Anton Pincas
24 poèmes traduits de l’hébreu et présentés par Emanuel Moses
Éditions Obsidiane
Octobre 2019.
Le livre comporte 24 poèmes du poète israélien Anton Pincas, traduits de l’hébreu par Emmanuel Moses. Né en Bulgarie en 1935, le poète émigra en Palestine mandataire (*) en 1944. Il a reçu pour l’ensemble de son œuvre le prestigieux Prix d’Israël en 2005.
Dans sa préface, Emmanuel Moses écrit de ces poèmes « … (ils sont) comme composés à la lumière vacillante d’une lampe qui jette ses derniers rayons,… »
Avec la volonté à cerner la vie qui passe, les poèmes esquissent les traces du temps dans une fuite aussi irrémédiable qu’insaisissable.
Curieusement ces poèmes m’ont fait songer à Dino Buzati. Peut-être par le fait qu’ils se présentent comme de brèves narrations issues de la mémoire, du rêve ou de l’imaginaire.
« C’est une lente procession qui rappelle les cortèges funèbres à la Nouvelle Orléans./ Ouvrant la marche, mes amis qui ne sont plus. Ils ont en mains des cuivres./… »
D’autant que les sens perçus dans les poèmes semblent se modifier, tel des condensations dans la polysémie des rêves. Comme chez Buzati encore, la mort n’est pas nommée directement mais elle rôde et laisse les traces de sa venue prochaine. Pour Pincas, le signe de sa présence, c’est la fuite du temps dans une course au néant.
« Voilà donc ce qu’était la vie./ Sa plus grande partie est maintenant derrière toi./ Ainsi, passé et présent se transforment en un seul mouvement continu,... »
Poèmes nés au proche d'une anxiété première, ils expriment l’inquiétude d’une fin que l’attente et la succession des jours circonscrivent. Tous les poèmes sont datés, leur écriture s’échelonne de 2001 à 2014.
« J’ai acheté et j’ai vendu, j’ai vendu et j’ai acheté / Ai-je jamais été ? » s’interroge Anton Pincas au bilan de sa vie. À ce moment, plus rien n’est sûr et toute chose éphémère.
« Un soleil printanier réchauffe/ Le visage, les épaules, le dos,/ Qui ne seront peut-être plus là au printemps prochain/… »
La mémoire est interrogée tant dans son contenu que par sa nature. Tout se mélange au temps qui passe à l’approche d’une frontière indiscernable.
En associant à une météorite les souvenirs humains dont nul ne se souviendra, un poème éponyme me semble représentatif du livre.
En ignorant les souvenirs les plus intimes et les plus chers des hommes, « l’histoire » n’a aucune conscience des individus de passage que nous sommes, souligne l’auteur. Qu’est donc l’être humain alors ? Rien, en regard de la vie qui prospère et jamais ne s’arrête. Et Anton Pincas de s’interroger sur ce temps écoulé bien trop vite à l’horizon d’une frontière ultime qui approche.
(*) Palestine sous mandat britannique
hm