En découdre
Isabelle Lévesque
2021, L’herbe qui tremble
ISBN : 978-2-491462-02-4
(Note parue dans la revue Phoenix)
Avec un titre empreint de pugnacité, suggérant lutte et résistance En découdre débute sur des citations de Guillaume Apollinaire et de Thierry Metz. Elles éclairent le livre d’un horizon maussade.
Dès les premiers vers Isabelle Lévesque fait ce constat,
Nous perdrions plus à nous taire / qu’à nous défaire de l’encre.
Ces vers semblent présider à l’écriture du livre pour dénouer la trame d’une histoire intime et commune que le Nous suggère.
Comme dans de précédents livres la neige est présente, rappelant ici le blanc de la page sur laquelle parfois :
il peut tomber des flocons noirs.
D’autres éléments du registre lexical d’Isabelle Lévesque parsèment ses paysages poétiques Hiver, glace, givre… comme autant de représentations visuelles qui s’imposent dans des allégories dont seule elle connaît les sources. Des souvenirs récurrents possiblement liés à un être qui fut cher et qui manque.
Une écriture sibylline
Soir, c’est pire / (croisade). / Désastre à éviter, quel ?
Quelle signification attribuer à ce tercet, énigmatique tant par la syntaxe, les parenthèses ou le mystère que voile ce quel ? L’écriture d’Isabelle Lévesque est souvent elliptique, imageant ou esquissant des scènes où le lecteur entre en paysages inconnus. Lisant les poèmes dans l’éclat des vers ou la résonance des mots, il tâtonne sur le chemin qui le conduit à l’univers de la poète.
Tu n’as pas fini d’allonger le soir de curieux symboles où les étoiles sculptent les branches de lumières
La beauté du poème réside parfois dans sa seule littéralité, sa prosodie ou son rythme.
Regardes-tu plus loin que l’heure, l’instant d’après rapporté sans fin à la silhouette du passé perdu ? s’interroge Isabelle Lévesque, dans l’espoir peut-être d’un inversement du temps ?
Un impossible retour pour retrouver la silhouette d’un absent innommé, en ranimant par l’écriture et le poème ce moment perdu. Ce à quoi ses sentiments ne cessent de revenir. Là est peut-être le centre d’une bataille personnelle qui se joue dans le livre. Ces souvenirs récurrents et bouleversants avec lesquels la poète a décidé d’En découdre pour contrer ce qui lui revient incessamment dans une nostalgie prégnante :
C’est heureux le temps meurtri.
Mais l’écriture dans une trajectoire circulaire n’atteint pas toujours l’épicentre de la quête, pour amoindrir ce qui pèserait au cœur et au corps trop lourdement sans doute.
Signes et sens
Il manque un signe au ciel /
écrit l’autrice, peut-être celui qui fut trahi un jour de l’enfance ?
La corde et l’arbre grandissent. / Chaque année, penchée, je recommence. / Il n’est plus temps, dit la voix. L’enfant s’effraie, efface au chiffon / le signe trahi.
Beaucoup de signes alors dans la poésie d’Isabelle Lévesque telles des traces ouvrant des espaces à la multiplicité de sens. Comme l’emploi de l’italique qui reste souvent obscur au lecteur. Des mots ou des groupes de mots dont elle seule connaît la raison profonde.
Le Nous
Dans le labyrinthe des poèmes le lecteur tente de suivre le fil d’Ariane qui le conduira à la lumière partagée du livre,
Lumière n’est plus / que mémoire.
Découvrant qu’il prend ses sources dans des moments passés, heureux et regrettés, quand le Nous employé suggère la présence de deux êtres à nouveau rassemblés.
En rangs serrés. Proférer./ A deux nous sommes./J’ai bien creusé, dérive feinte.
L’écriture d’un poème n’est-il pas parfois l’évocation d’un moment cher et marquant ?
Où es-tu ? interpelle Isabelle Lévesque, prenant acte de la disparition de l’Autre. Le poème est alors l’occasion d’un dialogue repris avec l’absent,
Nous deux cherchant le compte rond / des saisons. Meurtris, inassouvis :/ deux syllabes, un cri.
pour être réunis dans ce temps recommencé. Seules peut-être l’écriture et la poésie permettent à nouveau la rencontre en ce printemps perdu.
Blanc le fil de givre/qui fond. Crocus, améthyste, / la pierre et la fleur sombre/du printemps perdu./
Avec ce livre Isabelle Lévesque ranime le brasier silencieux de la mémoire qui demeure successivement précieux, vivant, intense ou prégnant.
Il faut allumer les traces / pour le brasier silencieux
Il l’entraîne dans les retranchements d’une poésie qui peut être salutaire.
Poursuivons transis / le reflet des signes dans le feu, / la fumée – sa connivence / établie pour un instant - / nous sauvera peut-être.
hm