Dans le vent pourpre
Philippe Mathy
L’herbe qui tremble
2e Trimestre 2021
isbn : 978-2-491462-16-1
130p 16 €
( Note parue dans le Journal des poètes )
Le livre de poésie, composé parfois d’ensembles, est une mosaïque quand le roman ou la nouvelle semblent d’un seul tenant. Par la vertu des poèmes, il lance des éclats parfois disparates mais qui soudain resplendissent en un bouquet au regard du lecteur.
Avec des poèmes en vers et en proses, les « ensembles » portent ici des titres indépendants : Verdun, Rive de Loire, Dehors, mains ouvertes… Ils ne semblent pas liés sinon par ce vent pourpre qui porte l’ombre de l’avenir menaçant du temps et auquel l’amour seul semble s’opposer. C’est ainsi que j’entends ce titre qui est extrait des quelques vers du poète tchèque Jan Skacel inscrits en ouverture du livre. Philippe Mathy engrange ici ses instants d’émotion, de sensations ou de sentiments qu’il récolte au fil des jours. Ou parfois, qui lui échappent…
Les poèmes sont accompagnés par des gouaches colorées d’André Ruelle sur lesquelles des portraits de femmes, principalement, évoquent le désir et les plaisirs de la vie symbolisés par les fruits et le vin.
Dans le premier ensemble Verdun, écrit lors d’une résidence d’auteur je note ces vers :
Le ciel pèse de trop de souvenirs / de trop de cris, de trop de disparus
Ils sont morts se dit-on / À Verdun leur mort vit encore
Et j’entends soudain « le remords » qui perdure de ce carnage guerrier quand rien ne peut revenir sur ce qui fut.
Dans sa découverte de la ville, Philippe Mathy est empli d’impressions attristées,
Où chaque pas posé creuse en nous / une raison qui défaille
Son regard est peuplé de l’ombre des disparus dans les combats. Et rien ne peut résoudre ce passé meurtrier devenu désormais un territoire intemporel et ineffaçable.
Avec Jour de cendres qui suit, le poète semble évaluer l’atténuation de sa veine poétique et la raréfaction de moments d’émotions. Regrettant les moissons des beautés que la vie de bon gré lui offrait, il associe le désir d’écrire au tranchant d’une lame de couteau qui
…se plante en toi afin que tu tentes d’écrire / encore pour respirer peut-être / le souffle qui t’anime.
Et malgré la belle et apparente simplicité de sa parole poétique, le poète évoque un déclin du désir d’écriture à la fois tenace et plus ténu au fil des ans,
quand nos rêves ne nous offrent / que de trop lointains matins de Pâques / pour espérer encore sentir en soi / monter la sève d’un printemps.
et mesure ainsi la fugacité de la vie qui s’écoule.
L’ensemble est empreint de nostalgie et de regrets quand les moments lumineux s’espacent,
peu de mots peu de gestes / à peine le murmure d’un fleuve / laissant filer son eau // J’y suis une barque / incapable de ramer / à contre-courant.
C’est autour de l’ensemble Dans le vent pourpre que s’agrège le livre. Des poèmes autour d’une vie partagée semble-t-il, dans le quotidien de plaisirs humbles, de moments uniques ou brefs, forts d’émotion et de beautés que les cœurs vrais discernent dans le brouhaha du monde.
Là, l’émotion naît de choses simples, comme le chant d’un merle, la vue du chien qui accompagne « fraternellement », le corps d’une femme… Seule l’émotion demeure pour atteindre un intangible frisson qui donnera naissance au poème.
Philippe Mathy nourrit sa poésie à son observation, aussi sensible que minutieuse. Mêlant les paysages de la nature et du monde aux palpitations de ses veines, aux émotions qui le parcourent. Il abreuve ses mots aux frissons de sa chair, aux réminiscences de sa mémoire. C’est une belle sensibilité qui nourrit ses vers et ses mots. À l’écoute du monde, ses sens comme à l’affût se souviennent de l’enfance. Et les sensations sous l’acuité de son regard naissent aux moindres détails, tels,
Le parfum d’une fleur discrète ; une feuille prise dans le tourbillon de vent d’une cour étroite ; Des ombres frêles sur le mur ; (la) Terre caillouteuse où mes pas restent fixés, où un bonheur soudain, insensé, vient m’étreindre…
Tous ces menus détails partagent des instants du bonheur de vivre. Tant de minuscules choses, fragments de vie qui resplendissent au regard du poète et édifient en silence les poèmes.
C’est alors que le cœur, peut s’ouvrir comme un fruit
Parfois les détails descriptifs dans les poèmes en prose l’emportent sur l’émotion première. Ils recréaient le climat d’une attente, où fort de la moisson du regard, ils saisissent l’émotion de l’instant.
Dans ces pages, c’est un vent du temps qui passe entre les jours sombres et des moissons heureuses. Avec la poésie de Philippe Mathy le lecteur retrouve un territoire d’enfance, lorsque les découvertes du monde faisaient se lever rires et émerveillements. Le poète a su sauvegarder en lui cette capacité naïve à désirer le monde et à le partager.
Que serions-nous sans partager ce que nous fûmes ?
hm