Carnet d’Orphée et autres poèmes
Thierry Metz
Édition Les Deux Siciles
ISBN : 978-294013-385-7
Novembre 2011
La note a paru dans le numéro 69 de la revue Diérèse.
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C’est l’un des derniers textes de Thierry Metz. Il a été édité en 2011 par les éditions des Deux-Siciles que dirige Daniel Martinez. Avec une préface éclairée d’Isabelle Lévesque le livre rassemble quatre ensembles dont celui au titre éponyme du livre qui débute sa lecture. Des encres de Jean-Claude Pirotte accompagnent également les poèmes. L’ensemble Carnet d’Orphée fut écrit sur un agenda de poche dont quelques feuillets sont reproduits en fac-similé dans le livre.
La volonté d’emprunter un chemin orphique est évoquée d’une façon sibylline dans ce premier vers :
L’erreur serait de confondre l’aller et le retour. Mais suis-je capable de l’un comme de l’autre ?
L’enfant est mort et avec lui la mère recluse dans un deuil indépassable. Thierry Metz est alors happé comme doublement dans son deuil quand la mère semble avoir rejoint l’enfant dans un mutisme de sidération :
Et cette mort que je renferme, la mort de n’entendre ni l’un ni l’autre,…
Alors Thierry Metz, solitaire, suit un chemin intérieur de quête et d’écriture. Il mène une tentative pour contrer l’inadmissible destinée. C’est un chemin qui s’enfonce vers les rives d’un Styx. Il veut en revenir avec l’enfant arraché au territoire des morts et avec sa bien aimée, la mère sortie de sa torpeur. Tel est l’objectif que le poète s’est assigné pour combattre l’intolérable perte.
Seuls le poème et l’œuvre de la langue, pense-t-il, lui permettront de dépasser les bornes du réel pour une incursion dans le territoire des morts :
Trop certaine aura été cette langue qui n’est peut-être, que le prototype d’une autre.
Une pérégrination débute alors qui conduit le poète sur un chemin intérieur entre des paysages bien réels et ceux plus intimes du deuil qui l’éprouve. Dans ces paysages, sur le bord des routes et dans les rouages de sa pensée, il recherche des éléments qui l’aideront à ramener l’enfant et la mère.
Je n’ai que ce trajet à bâtir./ retrouver la mère et l’enfant./ en mourir peut-être.
Le risque est grand dans cette aventure intérieure dont l’écriture est l’unique instrument de quête et le seul moyen d’échange qu’il possède.
Mais je suis en direction de ce qu’il n’y a plus à comprendre, pour ainsi le comprendre, y laisser de l’écriture.
Carnet d’Orphée est une quête de l’enfant perdu. De nombreux vers y demeurent énigmatiques :
C’est l’inatteignable qui m’est le plus proche.
Dans la recherche de son enfant qu’il veut soustraire à la mort, le poète tâtonne, expérimente et invente cette sibylline errante proximité d’écrire qui lui permettra, pense-t-il, d’atteindre le réel :
L’errante proximité d’écrire, qui est la proximité de toutes les langues. Pour pleinement désigner le réel.
Dans les poèmes alternent le concret des faits et la force de l’écriture. Pour le poète, cette dernière demeure l’unique moyen pour transgresser la réalité dans des vers parfois elliptiques :
Ce que je n’ai pas à rejoindre est ce que j'atteins – et qui m’étreint.
Thierry Metz perçoit le réel comme une suite de paysages à traverser, une succession de seuils précédant d’autres lieux à investir. Il y éprouve sa vie à l’aune de la mort de l’enfant qu’il n’admettra jamais.
Comme si, toujours, il fallait se redresser, maintenir ce lien de terre et de soleil.
Il reste écartelé entre deux rives qu’il n’arrive pas à relier. Et le poème se termine sur un sentiment d’échec :
Inachevable : est-ce ainsi que je devrais proposer ce que j’écris ?
Face à la réalité, le poète prend conscience que son objectif de ravir l’enfant à la mort était inaccessible. Il mesure à cet instant que son impuissance est pareille à celle de tous les hommes :
La résistance de la société à toute forme d’existence ne peut faire de nous que des êtres absurdes, voués – et seulement à cela – à de l’obéissance.
Mais si Thierry Metz n’a pas réussi à ramener son enfant du pays des morts peut-être a-t-il fini par accepter sa perte ? À moins qu’il n’ait décidé à ce moment de le rejoindre ?
Le livre se poursuit avec trois ensembles regroupés sous le titre Autres poèmes.
On prolonge alors la lecture avec cette poésie dense, hermétique parfois, énigmatique aussi. Mais la tentative du poète à ouvrir au plus large sa parole reste entière, nécessaire et vitale.
De poème en poème, le lecteur pénètre l’univers de Thierry Metz. Il touche à ses frontières, piétine devant ses seuils, longe ses limites ultimes.
Dans les poèmes, la poésie procède par comparaisons, avec l’emploi de « comme », dans cette même volonté de traverser les frontières et de faire surgir d’autres pans du réel.
Un poème au centre du livre dont le début est donné ci-après, illustre bien ce passage de la frontière du réel au territoire de soi-même :
Un peu de jour / pris /par la fenêtre /le monde et quelque chose / comme un instant de verdure / de renoncement/ tout le livre ouvert maintenant /.
Selon la lecture que l’on fait de « le monde et quelque chose », on oppose « monde » à « quelque chose » en laissant sourdre un univers possible et vivable. Et ce monde intérieur devient comme un instant de verdure. On pourrait voir ici franchie la frontière de la réalité avec ce basculement du réel vers la perception d’une émotion. À cet instant du vers, le poète a sauté le seuil du tangible pour pénétrer en lui. Il passe de la vision du jour à travers une fenêtre à celle de son univers poétique. La frontière franchie, le livre intérieur est ouvert et un oiseau, évoqué plus loin dans le poème, pourrait bien symboliser la parole brûlante et vive de la poésie.
Il semble à la lecture du dernier poème de l’ensemble Dans le pain : ta voix, que la quête de l’enfant disparu a continué :
Si seulement tu pouvais trouver un passage / sans que ta main d’écrivant te suive,/ tu pourrais, un instant, lui donner un peu d’eau, seulement un peu d’eau. Le confier à une source.
C’est peut-être dans cette main tendue au fils pour lui donner un petit peu d’eau que Thierry Metz face à l’échec envisagé aura décidé de rejoindre son enfant.