Amniotique
Gérard Blua
Autres Temps Coll. Temps poétique
1992
Amniotique est consacré au père de l’auteur, à ce père qu’il vient de perdre. Ce livre est composé en trois parties : Solfatariennes, Flammées et Éruptives qui évoquent des périodes particulières qui ont accompagné ce deuil.
Séparés par le blanc d’un saut de ligne, la très grande majorité des poèmes sont composés de deux strophes. Le blanc est ici manque et absence. Celui qui sépare l’un de l’autre. Le fils et le père pour lequel ce livre est écrit. Le chiffre deux est symbolique de deux êtres, indissociables comme l’inspir et l’expir, comme les pas du marcheur qui traverse les méandres de la vie. Le livre les réunit une dernière fois pour conjurer cette ultime séparation.
Le poète commence par se remémorer les moments de partages et de vie commune.
« C’est alors / Que j’ai voyagé dans ma mémoire/Je gravais des images/ Sur les parois des grottes :/… »
La mort du père a soudain redéfini l’architectonie de l’espace et du temps du poète et initie pour lui un décompte nouveau :
« Je décomptais / Sur les doigts de ma nuit / La distance mythique / Entre deux morts semblables. »
Avec l’absence du père, fort de sa figure tutélaire, c’est une nouvelle période de vie, inconnue jusqu’alors qui s’ouvre pour le fils. Il devra marcher seul.
« Sans nom / Il me fallait bien aller / Vers ce jour utopique/ Que la Vie / M’avait promis:/ une aube de fausse couche. »
Une période d’adaptation et de bouleversements existentiels commence pour le fils. Il fallait vivre malgré tout, sans ce père désormais disparu. Vivre autrement mais comment ? Questionne implicitement le poète.
« Mais vivre / Vivre encore / Dans ce glauque amalgame / Des cendres de l’Aimé / Et de mes chairs vendues / A la cérémonie. »
Seule la mémoire a pouvoir de sauvegarder le père, son image, son souvenir. Et dans ce premier ensemble Gérard Blua dit la mort de son père et cette conscience qui progressivement l’envahit.
« Tu vivras/ En marge de ta mort/ Dans l’intimité de ma chute. »
Dans le deuxième ensemble, Flammées édifie le territoire du deuil. Celui où il faut bien prendre le réel dans la considération douloureuse de l’absence. Il faudra bien s’habituer au manque et à la disparition. Mais s’habitue-t-on jamais à la perte d’un être aimé ?
« Même dans ces moments de faiblesses / Sa voix n’est venue /
M’apprendre / Qu’Elle avait pu exister ».
Il faudra vivre seul désormais au milieu de tous les vivants qui rappelleront à chaque instant l’absent. Mais tout au long des poèmes, les pronoms personnels et possessifs, écrits en italique, l’incarnent et le rappellent sans cesse.
Le troisième ensemble Éruptives marque l’acceptation qu’une métamorphose du poète aura fait naître.
« Chaque pas / Maintenant / Est un siècle de plus / Vers la mort./ Cours tragique / Et merveilleux / D’une absence / Que je ne pus réanimer. »
Mais l’acceptation de la mort ne vaut pas pour l’oubli.
« Mais d’un visage/ Il ne reste toujours / Que son appel / Contre l’oubli. »
Comment indépendamment du père, sans reniement aucun, être à la fois même et différent. L’un et l’autre et vivre doublement. Toujours liés. Parce qu’il était le père, parce qu’il était son fils. Le poète sera fidèle à la mémoire et ainsi peut-être délivré d’une hypothétique promesse. Ce livre sensible qui parcourt au plus proche de l’intime la douleur de la perte en témoigne.
« Et avaler les cieux / Boire les horizons / Mâchonner l’infini / Enfant / Gourmand du monde / Et déglutir / La vie/ Dans le bonheur informe / Du ruisseau de Charron. »
hm